Écrit par Josué Morel

Il y a une raison pour laquelle le portrait que Bradley Cooper consacre au compositeur de West Side Story s’appelle Maestro et non « Bernstein » : l’acteur-réalisateur a compris qu’un bon biopic n’est jamais qu’une histoire vraie reconfigurée à l’aune d’un point de vue. La clef de sa réussite ne réside donc pas dans l’exhaustivité des épisodes marquants, et encore moins dans leur exactitude historique ; ce qui compte est de poser une hypothèse, davantage formelle que psychologique, permettant de saisir l’essence d’une figure. Celle de Maestro est résumée par le personnage qui, au détour d’une interview télévisée tournée dans son propre salon, tente de définir ce qui se joue dans l’articulation de ses différentes activités : Bernstein est autant un créateur (celui qui, tourné vers sa vie intérieure, travaille seul dans son bureau) qu’un interprète (soit une figure extravertie qui étale sa virtuosité sur scène).

Sans doute que Cooper, qui porte justement ici les deux casquettes, celle du créateur et de l’interprète, a vu en Bernstein l’opportunité de brosser une sorte d’autoportrait « schizophrène » – pour reprendre la conclusion à laquelle arrive le musicien en évoquant la dualité de son labeur –, mais le film fait surtout de cette logique un pur principe de mise en scène. Prenons par exemple les débuts triomphaux du chef d’orchestre. Dans un plan étourdissant, Cooper montre comment l’appartement new-yorkais de Bernstein, plongé dans la pénombre et dont la grande baie vitrée est voilée d’un rideau semblable à celui d’un théâtre, devient l’antichambre du Carnegie Hall où se produit l’Orchestre philharmonique qu’il va diriger pour la première fois. Coulisses et scène forment un même espace continu, comme la vie privée de Bernstein se confond avec celle de l’artiste.

La rencontre avec son épouse Felicia (Carey Mulligan) se noue justement autour d’un numéro chanté, puis d’une répétition dans une petite salle de théâtre. Les prémisses de leur union s’incarnent, au-delà de leurs regards énamourés, par leurs déplacements sur la scène, la manière dont ils enrichissent le texte de petits gestes ou encore dans les jeux de lumière qui viennent sertir leurs sentiments naissants. Cooper semble alors rejouer une vieille idée shakespearienne, qui est aussi un axiome du cinéma classique hollywoodien : « All the world‘s a stage ». Ou plutôt, les acteurs envisagent ici toujours la scène, puis le monde, comme un prolongement des coulisses. Autrement dit, chez Cooper, « All the world’s a backstage » : la scène-monde apparaît surtout composé d’interstices, de portes entrouvertes, de corridors où l’on s’étreint sans totalement se soustraire aux regards d’autrui, jusqu’au cabinet médical où les époux Bernstein attendent nerveusement un diagnostic fatal sur le point de tomber. On l’aura compris : Maestro est aussi un mélodrame, comme A Star Is Born qui, en dépit de sa facture plus impersonnelle, renfermait déjà quelques éclats et faisait preuve d’une attention remarquable portée aux acteurs. Et c’est justement le propre du mélodrame que d’être à la fois le théâtre de passions extraverties et de tragédies chuchotées, pour faire sourdre une émotion qui, par pointes, surgit telle une lame de fond.

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